Alexandre, peux-tu nous dire à quand remonte tes débuts en surf, âge, région où tu as commencé.
Salut Stéphane, c’est chouette de lire les portraits que tu as commencé à publier, cela permet de mieux connaître certain(e)s que je croise à l’eau depuis quelques années (décennies), beau projet, bravo !
De mon côté j’ai commencé à jouer dans la mer dans les années 80 sur la plage de Trestraou, à Perros Guirec. D’abord en nageant dans les vagues avec les palmes de plongée de mon père, puis avec ma sœur et les copains sur des planches en polystyrène, avant d’acheter à Jersey ma première vraie planche de bodyboard en 87 - introuvable à l’époque dans le coin. Avec mes copains du lycée on s’est mis au bodyboard car nos vagues de prédilection cassaient sur le granit, impossible de s’y mettre en surf sans abimer les planches - et puis à cette époque Trestraou était déjà pleine de surfers qui faisaient des tout droits et on est vite allé explorer les environs.
Te souviens-tu de tes premières sensations avec le surf et l'océan.
Je me souviens distinctement de mes premières vagues en bodyboard, un Scott “The bullet” : une impression de vitesse inouïe, très différente de ce que j’avais vécu jusqu’alors quand j’étais à moitié dans l’eau, waouh ça plane ce truc ça fonce ! A Perros j’habitais à pied de la plage, j’y passais beaucoup de temps, été comme hiver, enfant à y jouer dans l’eau jusqu’à avoir les lèvres bleues, et puis mes potes faisaient tous de la voile, de la planche,... Un truc important à l’adolescence c’est trouver son identité, à l’époque “le fun” c’était vraiment quelque chose qui me parlait, l’imaginaire californien, ou tropical, une version tellement plus intéressante que le littoral du Trégor, en tous les cas c’est ce que je pensais à ce moment là.
Aller surfer la Torche ou la Palue c’était déjà un trip, c’était une légende ces spots, ouverts sur le large, sans îles en face. On y allait avec un peu de crainte et d’admiration pour les locaux qui savaient tous surfer. Dans le Trégor on vivait dans notre monde, les bodyboarders, comme dans d’autres coins en bzh Nord d’ailleurs, je m’en suis rendu compte plus tard. On surfait nos spots de cailloux sans croiser personne, quel privilège! On était les rois de notre monde.
Tu surfes essentiellement en shortboard, pourquoi ce choix.
J’ai commencé sérieusement le surf en 2004, un peu lassé par la qualité/fréquence des vagues bretonnes pour le bodyboard, et naturellement j’ai commencé avec des petites planches pour continuer à surfer le même genre de vagues, plutôt creuses. J’en ai bavé, j’ai fait l’erreur classique que tous mes potes avaient faite avant moi de commencer sur une planche trop peu volumineuse. Mais au bout d’un moment ça a fini par passer - même si mon niveau est resté médiocre, faut se l’avouer. L’âge venant je commence à m’intéresser aux planches un peu plus longues mais je ne suis pas encore complètement mûr pour un mid length, il y aura certainement un tronc avant pour les petites conditions estivales !
L'hiver, tu voyages beaucoup entre la Bretagne Nord et Sud, peux-tu nous parler de ces deux parties de côtes et quels spots ont ta préférence.
Oui après avoir été étudiant à Brest et quelques voyages à l’étranger, je me suis installé à Rennes, en 1996, forcément c’est loin de tout et il m’a fallu un temps d’adaptation pour me dire qu’il fallait faire 1h ou 1h30 de caisse avant de pouvoir checker un spot.. Plusieurs râteaux ont contribué à solidifier autant que je le pouvais mes connaissances météo et forcément j’ai développé un attrait pour les spots consistants, comme la côte sauvage à Quiberon. Ma mère vivant à Perros, je vais régulièrement la voir lors du passage des bonnes deps sud-ouest (coucou maman !), j’ai toujours aimé les vagues du secteur de Locquirec. Et puis bon, il y a la baie d’Audierne.
Tu vas souvent en Irlande surfer, il me semble, quelques mots sur ces moments passés là-bas.
Oui j’y vais régulièrement depuis une vingtaine d’années. J’ai le sentiment un peu bizarre de m’y sentir chez moi, je me sens vraiment proche des irlandais (la femme d’un cousin est Irlandaise, coucou Anna !). J’apprécie l’espace, les éléments, la possibilité de pouvoir encore y surfer de très bonnes vagues à l’écart du monde, et les pubs bien sûr ! Ça fait vraiment cliché mais tout ça résonne puissamment en moi, cette beauté et cette force.
Tu t'es fait shaper de beaux objets pour affronter l'hiver passé et les prochains à venir, quelques mots sur ces modèls et sur celui qui les a façonnées.
David de Harmonie Surfboards à Esquibien m’a shapé deux planches, une 6’2 round tail pour les belles conditions (modèle winter blade je crois) et une 7’ pour les “grosses” vagues. J’ai surfé tout l’automne et l’hiver avec la 6’2 en bzh, dans les Landes et en Espagne, elle passe très bien dans beaucoup de types de conditions jusqu’à 2m. Je n’ai sorti la 7’ que 4 fois cet hiver, elle est très sécurisante quand ça devient solide et je commence à en prendre la mesure, mais c’est nouveau pour moi. Auparavant mes plus longues planches étaient des 6’6 step ups, là c’est plus un mini gun avec beaucoup d’épaisseur et de volume (40 litres). C’est le genre de planche de pépé que je compte bien garder longtemps
On te connaît donc aussi, au travers de ta passion pour le Yoga. Alors comment est née cette passion.
En 2002 je suis passé en urgence en neurochirurgie et le Yoga m’a accompagné pendant ma convalescence. Si ça intéresse certaines personnes j’ai déjà partagé cette histoire sur mon site
http://alexandremegret.com/index.php/fr/2017/06/12/comment-le-yoga-ma-eu/
En 2016 j’ai lâché mon boulot et j’ai choisi de vivre de la transmission du Yoga qui m’avait tant aidé, et continue tous les jours de m’aider. C’est le sens que j’ai décidé de donner à ma vie et je ne l’ai jamais regretté une seule seconde.
Donc grâce à ta pratique du yoga, tu en es arrivé à venir en aide aux personnes en difficultés, en intervenant depuis 2017 au Centre Pénitentiaire de Rennes ainsi que dans l’Unité pour Détenus Violents. Comment as-tu été accueilli avec ce projet, auprès des détenus et en quoi consiste tes interventions dans le milieu carcéral.
En 2016 j’ai commencé à être visiteur de prison car j’avais toujours voulu le faire, et là j’avais du temps. Devenir visiteur consiste à rencontrer des détenus qui le souhaitent, beaucoup n’ont pas de parloirs sinon. J’ai fait ça une année dans le cadre de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison, et puis avec le directeur du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et Probation) de l’époque on a convenu de lancer une activité Yoga. Ça a débuté par un créneau collectif hebdomadaire et tout de suite ça a bien marché, les détenus ont apprécié ce que cette pratique leur faisait ressentir, et avait à leur offrir. L’année suivante, on a ouvert un second créneau. En 2019 une Unité pour Détenus Violents a été créée et on m’a proposé d’y intervenir, j’y vois des détenus à l’isolement, dans un cadre individuel. Je suis formé en Yogathérapie (IDYT du Dr Lionel Coudron) pour adresser au mieux les besoins de chacun, physiques et/ou psychologiques.
Cela doit être une expérience forte émotionnellement et personnellement.
Oui ça me plait énormément, j’ai la chance d’avoir cette opportunité d’entrer et sortir de la prison toutes les semaines. Je donne beaucoup, je reçois bien davantage, je me sens à ma place avec les détenus, le temps d’une journée, “utile”. Les échanges sont directs, riches, je ne m’ennuie jamais même si c’est quand même assez fatigant je te l’avoue. Aider les détenus à respirer, leur permettre d’expérimenter un espace de calme à l’intérieur d’eux mêmes, les accompagner sur un chemin d’acceptation, de paix, ça me remplit. Un mot également sur le personnel pénitentiaire envers qui j’ai beaucoup d’empathie car la prison est aussi un environnement de travail très difficile, avec des moyens souvent inadaptés.
Tu as cofondé l'association "Le Chien Tête en Bas" en 2017, quelques mots sur ce projet.
Avec deux enseignantes de Yoga nous avons créé une association de Yoga solidaire pour amener le Yoga auprès de public en marge. Notre idée était de faire entrer le Yoga où il n’était pas, et faire bénéficier de ses bienfaits des personnes en situation de fragilité : femmes isolées, personnes à la rue ou en insertion, personnes handicapées, …, via la mise en place de séances gratuites sur le principe des “cafés suspendus”. J’ai quitté l’association en 2022 mais elle continue de proposer des initiatives dans ce sens.
Tu interviens aussi auprès d’adolescents en grande difficulté scolaire et sociale.
Dans le cadre d’un projet pédagogique en 2018 à l’EREA de Rennes (Etablissement Régional d’Enseignement Adapté) j’ai proposé aux élèves des pratiques de Yoga. L’idée était de favoriser les apprentissages en leur permettant de lâcher des tensions et d’améliorer leur attention. J’avais un groupe d’élèves de 6e pendant une heure, les 5e ensuite, et puis les 4e, à suivre, de 9h à 12h. C’était une expérience je crois intéressante pour eux et les enseignants, et pendant laquelle j’ai beaucoup appris sur ma manière d’animer.
Depuis 2020 c'est avec le pôle d'addiction et de précarité du Centre Hospitalier Psychiatrique Guillaume Régnier, que tu travailles. Tu y accompagnes des patients suivis pour des troubles de l’addiction et du comportement alimentaire. Comment cela se passe cette collaboration.
Cela s’est fait très naturellement par l’intermédiaire d’Estelle qui pratiquait avec moi et qui est infirmière psy au CHGR (coucou Estelle !). L’addiction est un sujet qui m’intéresse beaucoup - nous sommes tous addicts, à différents degrés et vis à vis de différentes choses, substances ou comportements, mais c’est un sujet qui nous touche tous, ne serait-ce qu'avec les écrans par exemple.
Avec Estelle nous avons commencé à accompagner avec le Yoga des groupes de patients suivis en addictologie avec des pratiques / ateliers adaptés. Là aussi les bénéfices sont vite apparus et validés par le personnel soignant, et l’année suivante nous avons ouvert un deuxième créneau dédiées aux personnes souffrant de Trouble du Comportement Alimentaire (TCA, anorexie, boulimie, hyperphagie) qui touche beaucoup de jeunes femmes, en augmentation forte depuis le COVID.
Toujours dans ta pratique du yoga et dans cette envie de partage, tu organises aussi des ateliers pour les Surfeurs de Bretagne.
Où organises-tu ces ateliers et en quoi cela consiste t-il.
Étant totalement addict au surf, je peaufine ma préparation physique et mentale depuis le début. Quand j’ai commencé à pratiquer le Yoga postural je me suis vite aperçu des bénéfices pour mon surf. Ça fait plus de 30 ans que je fais vivre des séquences d’étirements, renforcement, mouvements,..., qui se sont prodigieusement enrichies avec le Yoga mais aussi avec d’autres techniques issues d’univers différents. Et puis peu à peu je me suis rendu compte que la pratique du surf pouvait se superposer complètement aux enseignements traditionnels - le Yoga c’est du surf, et le surf, c’est du Yoga, il n’y a plus vraiment de limite pour moi entre les deux.
Deux articles sur le sujet que j’ai écrit en 2017 mais qui restent complètement justes à mes yeux
http://alexandremegret.com/index.php/fr/2017/07/12/surf-yoga-le-corps/
http://alexandremegret.com/index.php/fr/2017/09/17/surf-yoga-lesprit/
Les week ends de Yoga pour surfers que j’organise sont d’abord destinés à des surfeurs qui voudraient justement explorer ces liens, et mieux vivre leur surf / avec leur surf. On se retrouve ensemble le temps de deux ou trois jours, à proximité de vagues, et on tâche déjà de surfer le plus possible s’il y a des vagues. Le Yoga vient s’ajouter en fonction du moment pour préparer / faire récupérer / approfondir le travail du corps, mais aussi du souffle et bien sûr du mental. C’est aussi à chaque fois un super moment de vie collective. J’en organise quelques-uns par an, en général ça se passe à Fréhel, dans le 29N, en baie d’Audierne et à Quiberon selon les saisons.
Le groupe Facebook dédié - https://www.facebook.com/groups/435586043479344
Comment et où peut-on te trouver si l'on veut avoir recours à tes services.
Je vis actuellement à Rennes, j’anime trois cours collectifs aux Cadets de Bretagne, une super association, et suis disponible à la demande pour des interventions à la demande dans un cadre de pratique privée (personnelle ou en groupe/club), accompagnement thérapeutique...
Je te remercie vivement pour ta participation, car c'est un honneur pour moi de t'avoir dans ce projet, tant la gentillesse, l'humilité et le partage font parti de toi et se diffusent à celles et ceux qui te côtoient. Je te félicite donc pour ton implication quotidienne dans cette société, qui a grandement besoin de belles âmes comme toi. Je te laisse conclure cet entretien. Merci.
Comment conclure ? Peut être en faisant le lien entre ta démarche et la mienne. Au final c’est la même chose, nous travaillons tous les deux à créer du lien, ou plutôt à favoriser la prise de conscience de l’existence de tous ces liens entre nous tous : nous ne sommes pas séparés 🙂
Et comme le dit Cat Power, "we all do what we can", merci Stéphane !